02/02/2023
Une révolution lente mais certaine
La disruption de l’Assurance est toujours au programme des nouveaux entrants. Il est en effet mobilisateur d’envisager qu’une nouvelle technologie ou une nouvelle pratique bouleverse les acteurs en place et, comme ce fut le cas pour la photo devenue numérique ou les téléphones devenus smartphones, des géants disparaissent en un temps record.
Souvent annoncée, cette disruption totale du secteur de l’assurance ne se produit pas. On peut mettre cette inertie sur le compte de la règlementation qui impose tant de contraintes à tout aventurier. D’autres causes viennent s’ajouter à la première. Ainsi la capacité financière pour démarrer une telle activité, le caractère aléatoire de la rentabilité technique et, au final le ROI pas si attractif que cela.
Mais lorsque l’on prend du recul, on s’aperçoit que l’Assurance a vécu au cours des décennies précédentes de véritables évolutions si ce n’est une révolution, même si cela ne s’est pas produit en un jour.
Ainsi, alors que les compagnies coulaient des jours heureux dans les années 50, avec un législateur enclin à leur ouvrir des marchés (assurances obligatoires), de nouvelles structures se sont créées sur un modèle hybride. Ni complètement mutuelles, ni sociétés commerciales, on leur donna le nom de « sociétés à forme mutuelle ». Si, pendant longtemps, elles ont écarté l’idée de faire des bénéfices, elles ont fini par s’aligner sur leurs devancières et se faire taxer par le fisc comme toute entreprise…
Pendant des années, les acteurs historiques les ont traitées avec dédain. Elles vont se casser la g… disait-on. Car leurs tarifs étaient bas et, en assurance, la vérité des coûts finit toujours par gagner. Mais c’était ignorer le travail en profondeur mené au niveau de la stratégie marketing (même si ce terme était proscrit) : standardisation des contrats, gestion informatisée, maîtrise de la distribution et implantation géomarketing, segmentation de la clientèle (encore grossièrement comme les enseignants, les fonctionnaires, etc. mais cernant des risques plus faibles).
Il a fallu presque deux dizaines d’années pour que ces nouveaux entrants captent la moitié du marché IARD des particuliers. La riposte – tardive – des compagnies n’a pas été à la hauteur de l’enjeu et a souvent consisté à les copier… en moins bien !
Quelques années plus tard, c’est-à-dire en fin des années 80 pour l’assurance Vie et 90 pour le Dommage, ce sont les banques qui sont venues attaquer le marché de l’assurance. Là encore, les assureurs n’ont pas pris la mesure de la menace. L’essor de l’assurance vie par les banques n’a guère nuit à celui des compagnies car le développement du marché de l’épargne a explosé. Mais très vite, les grands acteurs de la banque coopérative ont pris d’importantes parts de marché ; en tous cas, en affaires nouvelles. Les réactions ont été quasi-immédiates lorsque ces mêmes banques mutualistes se sont lancées dans l’IARD. Certains ont même rêvé pouvoir leur interdire ce marché. Puis, le concert repris : « ça ne marchera pas », « au premier sinistre, les clients reviendront en courant ». Le résultat est que les bancassureurs continuent de prendre des parts de marché, jusqu’à 30% de leur clientèle. Leur recette était simple (bien que certains établissement aient galéré pendant des années !) : clientèle captive, réseau asservi et image financière.
L’aspect positif pour les assureurs traditionnels a été de leur faire découvrir les notions de Client et de multicanal. Là encore, les assureurs ont tenté d’imiter mais avec des années de retard et des organisations et des systèmes d’un autre âge.
Au tournant du millénaire, une nouvelle race d’entreprise est apparue : l’Insurtech. Entreprise en création, ayant souvent récolté d’importants fonds pour son lancement et s’appuyant sur la nouveauté technologique. Là encore, les assureurs ont tenté de copier. Mais la structure d’une compagnie n’est pas celle d’une startup et créer un nouveau produit en quelques jours ou semaines au lieu de 18 à 24 mois ne se réalise pas en claquant des doigts. Les assureurs doivent donc coopérer avec les startups qui sont en quelque sorte devenues les services R&D de l’assurance ; et le plus souvent possible, les rachètent…
Et puis le Covid est passé par là, accélérant la digitalisation de la Société, les achats et le travail à distance. Une place croissante est prise par les jeunes générations, digital natives, pour qui se rendre chez un assureur et remplir des formulaires n’est pas dans les gènes. Les seniors, de gré ou de force (cf. les services de l’Etat) sont bien obligés de s’y mettre et de toute façon auront disparu dans moins de deux décennies…
Si l’assurance est devenue une commodité pour certains, de nouvelles valeurs ont pris le pas sur celles qui ont longtemps été prônées par les institutions financières : solidité, histoire, proximité géographique… De plus en plus, les jeunes générations accordent de l’importance au respect des individus et de l’environnement. Parallèlement les difficultés financières générées par les crises mondiales provoquent une sensibilité exacerbée au prix. Dans ce nouveau paradigme, certains se drapent dans leurs « valeurs mutualistes » dépassées et sans adhésion populaire. Certaines mutuelles en sont conscientes.
Cette nouvelle révolution est digitale et éthique. Peut-on parier que dans moins de dix ans, les acteurs traditionnels, y compris les mutuelles, auront perdu entre un quart et un tiers de leurs marchés ?
16:16 Publié dans Moyens de gagner la confiance, Société, Sources de perte de confiance | Lien permanent | Commentaires (0)
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